18 November 2024

Le Peuplier noir, un emblème menacé

Parfaitement adapté au milieu alluvial

Le Peuplier noir (Populus nigra), tout comme le Saule blanc (Salix alba), constitue l’une des essences principales des zones « à bois tendre » des forêts alluviales. Espèce pionnière par excellence, son habitat naturel se situe sur les bancs d’alluvions grossiers déposés par les crues, ainsi que sur les surfaces fraîchement décapées qu’elles façonnent. Pour coloniser ces espaces dénudés et y prospérer, le Peuplier noir a développé une remarquable stratégie d’adaptation :

  • Dispersion efficace des graines : Produites en grande quantité et enveloppées dans une bourre cotonneuse hydrophobe, ses graines sont disséminées aussi bien par le vent que par l’eau, assurant une vaste diffusion.
  • Germination rapide : Dès le mois de mai, ses graines germent rapidement, permettant au Peuplier noir de coloniser sans délai les surfaces vierges laissées par les crues hivernales et printanières.
  • Système racinaire robuste : La jeune plantule développe un système racinaire profond, lui assurant un ancrage solide dans le substrat grossier et un accès à la nappe phréatique.
  • Croissance rapide : Cette caractéristique lui permet de surpasser la végétation herbacée environnante.
  • Multiplication végétative : Sa capacité à se régénérer par bouturage, recépage ou drageons s’avère essentielle dans un environnement exposé à la force des eaux et aux activités du Castor.
Entre disparition de son habitat et pollution génétique

Cet arbre emblématique des forêts rhénanes est donc dépendant de la dynamique morpho-sédimentaire des cours d’eau pour s’établir. S’il a bénéficié un temps des surfaces libérées par les travaux de canalisation du fleuve après les années 1950, son habitat se fait rare le long du Rhin désormais figé. Actuellement la forêt à bois tendre est restreinte et son renouvellement difficile. Ce constat se répète sur d’autres cours d’eau et bassins hydrographiques.

La perte d’habitat nuit à la diversité de ses ressources génétiques et à sa qualité (absence de sites disponibles pour la régénération, populations de trop petite taille…). Ce qui compromet les capacités d’adaptation et de maintien à long terme de cette espèce dans un contexte de changement climatique.

Cette menace n’est pas la seule à affecter le patrimoine génétique de l’espèce. L’hybridation spontanée des peuplements naturels par des peupliers cultivés est aussi réelle. En effet, la sylviculture et l’arboriculture ornementale emploient exclusivement des cultivars (variétés de plante obtenues par sélection) présentant une base génétique étroite car issue du même individu cloné à l’infini (par ex. le ‘Peuplier d’Italie’ (Populus nigra var. italica) issu d’un clone de sexe mâle largement planté en arbre d’alignement). Propagé par le vent, le pollen de ces cultivars peut féconder les fleurs des peupliers noirs femelles sauvages. La descendance qui en résulte possède un patrimoine génétique « pollué » et peu diversifié.

Programme de conservation des ressources génétiques

Ainsi, pour faire face à cette menace, un programme national de conservation des ressources génétiques du Peuplier noir a été mis en place par la commission des Ressources génétiques forestières (CRGF) en 1992, sous l’égide du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Il est actuellement coordonné par un binôme, composé du référent scientifique (Marc VILLAR de l’INRAE BioForA d’Orléans) et de l’animateur des unités conservatoires (Olivier FORESTIER du Pôle national des ressources génétiques forestières de l’ONF de Guémené-Penfao).

Ce programme suit deux stratégies :

  • La conservation statique ou « conservation ex situ », visant à conserver en arboretum ou en pépinière un échantillon représentatif de la diversité de l’espèce après collecte de boutures[1] puis multiplication végétative[2] (copie de 2000 individus provenant de plus de 60 populations) ;
  • La conservation dynamique ou « conservation in situ » en milieu naturel, mieux adaptée pour garantir le potentiel d’adaptation de l’espèce sur le long terme (jeu de la recombinaison par reproduction sexuée entre individus et influence de la sélection naturelle).

[1] Fragment de végétal (branche, tige, feuille…) que l’on détache de la plante mère et que l’on place dans un milieu où il prend racine (terre) pour former une plante complète.

[2] Mode de multiplication permettant aux végétaux de se multiplier sans reproduction sexuée (à partir de bouturage, de drageons, stolons, marcottage…). Les individus engendrés sont des clones et ont le même génome que le pied mère.

Le rôle des réserves naturelles de France

Dans le cadre de ce programme, un partenariat a été établi avec le réseau des Réserves Naturelles de France. En effet, les réserves naturelles garantissant une préservation des milieux sur le très long terme, certaines ont été identifiées comme unités de conservation in situ (par ex. la RNN de Saint-Mesmin dans le Loiret).

De plus, c’est au sein de douze réserves alluviales que des boutures d’individus sauvages ont été collectées pour être multipliées et compléter la collection « nationale ». Ainsi, en 2005 des rameaux ont été prélevés sur des peupliers noirs de trois réserves rhénanes : RNN de la forêt d’Erstein, RNN de l’île de Rhinau et RNN de l’île du Rohrschollen.

Enfin, ce programme de conservation implique également la promotion de cette essence auprès des aménageurs et des paysagistes car, plus résistant à bien des égards que d’autres arbres de ripisylve, le Peuplier noir mérite d’être réimplanter. Ainsi, six variétés dites « forestières » adaptées aux six bassins hydrographiques français ont été enregistrées dont celle du Rhin à laquelle ont contribué 24 peupliers noirs de la RNN de l’île du Rohrschollen. Ces variétés sont distribuées par un réseau de pépiniéristes partenaires sans protection commerciale, ni royalties.

Tout savoir

Actualités